Le crapaud et la morue - Que faire ? (2020)
Comment en vient-on à choisir un nom aussi absurde et peu attirant que « Le crapaud et la morue » ? Toute considération zoophobe mise à part, le manque de glamour (supposé) de ces deux gentilles bestioles nous pousse davantage à imaginer une fable oubliée de Jean De La Fontaine qu’un groupe de noise/mathrock/prog très talentueux.
Bon, au moins, pas d’arnaque c’est français, il était difficile d’en douter.
À l’image de leur nom, difficile également de leur coller une étiquette stylistique. Le son de l’album Que Faire ? évoquera aussi bien Mars Volta que Magma ou d’autres groupes psychés de la fin des années 70 tout en rappelant parfois Eiffel période Abricotine en termes de chant et de paroles. Autant dire que si on multiplie les références plus que sympathiques, ingurgiter tout ce qu’on a mélangé dans le shaker ne sera pas à la portée de tous·tes mais quand ça marche, ça n’est pas à moitié.
Entre des parties de batterie brillamment composées et extrêmement bien produites (Deux Hommes Femmes), une basse vivante et délicate (Les Bergers) et deux guitares qui se complètent à merveille, on est à l’affût de toutes les subtilités laissées çà et là parmi les (seulement) 8 morceaux de l’album. Les guitares la jouent « gentil flic/méchant flic » : l’une nous tabasse pendant que l’autre caresse avant d’inverser les rôles sans prévenir. Un équilibre agréable qui permet de ne jamais être rebuté par l’aspect noise parfaitement dosé. On sentira des aspects progs dans certaines compositions comme dans l’intro de Une Proposition qui fera penser à Beardfish avec son moog venant apporter un peu de douceur par-dessus les dissonances et les décalages rythmiques. Encore une fois, sans aller trop loin dans l’expérimentation et la technique, le groupe préférant installer des ambiances en prenant le temps de développer leur propos.
Je les ai découverts par le morceau qui est devenu de fait mon préféré : Le Grand Vertige. Un titre mélancolique (le plus court de l’album) aux paroles remplies de poésie un rien ironique (« Mis bout à bout, tous ces moments s’épuisent, ça se brise et les éclats se répandent » suivi de ce coup de poing « Chacun de nous croit qu’on meurt mais c’est faux, on s’en fout (…) »). De jolies phrases qui parviennent à évoquer des images puissantes sans jamais tomber dans le cliché. Et pourtant, il est compliqué de faire sonner le français sans qu’il ne sonne ridicule dans ce genre de musique… C’est pourtant l’exploit du groupe qui donne envie de s’intéresser à ce qu’il raconte notamment dans le très jazzy Une proposition (« Je suis l’enfant défaillant de la Terre (..) Je suis l’enfant qui a besoin qu’on le calme »). Tout cela sans compter le chant lui-même qui a pourtant de quoi dérouter avec cette voix haute qui flirte avec les limites de la justesse sans toutefois jamais taper à côté.
Bref, cet album, c’est la jolie découverte qui permet d’accoler une autre étiquette que celle de François – Rends l’argent – Fillon au département de la Sarthe, département d’origine de notre quatuor plein de talent. Jetez-vous sur cet album sans plus tarder (en plus la pochette est sublime, ça ne gâche rien).
Titre idéal pour découvrir : Le Grand Vertige